L'arrêt à ne pas manquer | Accès aux mails professionnel : un droit à la preuve renforcé
Publié le :
19/06/2025
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De plus en plus de salariés saisissent les Conseils de prud’hommes en référé, voire les Présidents de Tribunaux judiciaires sur requête, afin d’obtenir des éléments détenus par leur employeur pour démontrer le harcèlement, la discrimination ou l’inégalité salariale dont ils s’estiment victimes.
Ces actions sont encouragées de toute évidence par la récente jurisprudence de la Cour de cassation relative au droit à la preuve.
Jusqu’à présent, elles se fondaient sur l’article 145 du Code de procédure civile qui prévoit de manière générale que, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Plus récemment, des demandes similaires ont été présentées par des salariés en se fondant sur le droit d’accès aux données personnelles prévu par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD). En effet, selon les termes du point (1) de l'article 4 de ce règlement, on entend par « données à caractère personnel » toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (ci-après dénommée « personne concernée »), est réputée être une « personne physique identifiable » une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu'un nom, un numéro d'identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale. En outre, selon les termes de l'article 15 de ce règlement relatif au « Droit d'accès de la personne concernée », la personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement la confirmation que des données à caractère personnel la concernant sont ou ne sont pas traitées et, lorsqu'elles le sont, l'accès auxdites données à caractère personnel. Le responsable du traitement fournit une copie des données à caractère personnel faisant l'objet d'un traitement, sous réserve que le droit d'obtenir une copie ne porte pas atteinte aux droits et libertés d'autrui.
Certains salariés ont conclu de ces dispositions qu’ils étaient en droit de demander à leur employeur la communication de nombreux éléments comprenant leur nom détenus par leur employeur, comme leur contrat de travail, des entretiens d’évaluation, des courriels envoyés ou reçus, etc.
Cette analyse était contestable et contestée au motif que le droit d’accès prévu par le règlement n’avait pas pour objet de permettre la communication de documents dans un but probatoire mais seulement de permettre aux personnes concernées par les données personnelles de s’assurer qu’un traitement contenant leurs données était bien utilisé conformément à sa finalité déclarée.
Dans un arrêt de principe du 18 juin 2025, la Cour de cassation rejette cette interprétation limitative de l’objet du droit d’accès en reconnaissant le droit à un salarié d’exiger la communication par son ancien employeur de l’ensemble des courriels envoyés et reçus avec sa messagerie électronique professionnelle. Le salarié ayant le droit d'accéder à ses courriels contenant ses données personnelles, l'employeur doit lui fournir tant les métadonnées (horodatage, destinataires, etc.) que leur contenu ; ce qui peut représenter des milliers voire des dizaines de milliers de courriels en pratique compte tenu de l’augmentation exponentielle des échanges électroniques depuis plusieurs années.
Cette décision présente toutefois deux limites à ce jour. Tout d’abord, l’arrêt ne concerne que les courriels envoyés ou reçus grâce à la messagerie électronique professionnelle du salarié demandeur. L’arrêt n’envisage pas la communication d’autres courriels contenant ses données personnelles échangés par d’autres salariés de l’employeur grâce à leur messagerie électronique professionnelle. En outre, l’attendu de principe exclut expressément la communication d’éléments de nature à porter atteinte aux droits et libertés d'autrui y compris au titre du secret des affaires comme indiqué par l’article 15 du règlement et précisé par la CNIL dans ses dernières recommandations de février 2025. Dans la mesure où selon le régulateur « le droit d’accès porte uniquement sur les données personnelles et non pas sur des documents », la remise des pièces-jointes semble pouvoir être écartée, la CNIL allant même jusqu’à envisager « l’envoi d’un tableau contenant les métadonnées et les données personnelles contenues dans les différents courriels ». A la lumière de ce dernier arrêt, il n’est pas certain que ces recommandations valent encore et il conviendra donc désormais de déterminer, courriel par courriel, si les éléments contenus dans les courriels du salarié sont susceptibles ou non de porter atteinte aux droits et libertés des autres salariés, des clients et des prestataires de l’employeur.
La mise en œuvre de cette nouvelle jurisprudence promet donc de nombreux débats judiciaires dans les prochaines années.
Cass. soc., 18 juin 2025, n°23-19022